Patrimoine industriel et l’Union Européenne

Patrimoine industriel et l’Union Européenne

Quelle place pour le patrimoine industriel dans la politique patrimoniale de l’Europe ? Question légitime quand on sait que la « révolution industrielle » a été inventée en Europe et qu’elle a été l’instrument de sa domination sur le monde. La première étape de la construction européenne, la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), a été un projet éminemment industriel. Pourtant, la valorisation de ce patrimoine a été tardive.

Le patrimoine industriel, un pilier très discret de l’identité européenne

Les universitaires sont probablement les premiers à avoir mis en avant l’industrialisation et son patrimoine comme pilier de l’identité européenne, à l’instar d’un Maurice Daumas, d’un Louis Bergeron ou encore d’un Jean-Yves Andrieux. Tous insistent sur un phénomène s’exprimant à l’échelle continentale et commun à l’ensemble de l’Europe se jouant des frontières en exportant ses capitaux, ses modèles d’organisation, ses entrepreneurs, ses ouvriers, ses ingénieurs. Il ne s’agit donc pas pour les universitaires uniquement d’un patrimoine matériel lié aux zones de production mais également d’un héritage immatériel avec ses savoir-faire, ses pratiques, ses échanges, ses images.

Le Conseil de l’Europe rappelle avec insistance la part importante de l’industrialisation dans la construction de l’Europe. Dès le 13 septembre 1990, cette institution adopte une recommandation relative à la protection et la conservation du patrimoine technique, industriel et des ouvrages d’art en Europe. En 2013, instituant le patrimoine industriel comme un des fondements de l’identité commune de l’Europe, elle commande un rapport général sur patrimoine industriel en Europe (Conseil de l’Europe, rapport doc. 13134, Le patrimoine industriel en Europe, rapporteure Ismeta Dervoz, 15 février 2013) et demande qu’une liste complète et représentative des monuments industriels européens soit établie.


Le chantier naval de Gdańsk
Le Chantier naval de Gdańsk (Pologne) est le premier et unique site industriel labellisé « Patrimoine européen », label créé en 2005.

Du côté de l’Union Européenne, on observe un grand silence sur les vertus identitaires du patrimoine industriel. La « diversité du patrimoine européen » est proclamée et seul le patrimoine culturel est reconnu comme « valeur morale » dans une approche « intégrée ». Cela apparaît, notamment, dans l’Avis du Comité européen des Régions du 12 juin 2015 :

« …les valeurs culturelles locales sont étroitement liées à l’identité ; laquelle s’enracine dans le patrimoine matériel, immatériel et naturel des communautés. Le comité rappelle que développer la culture au niveau local renforce l’identité d’une ville ou d’une région et son caractère distinct : en outre l’association des différentes identités, dans le respect mutuel ; contribue à la construction du patrimoine culturel commun. Les produits culturels ainsi créés génèrent une valeur morale unique. Ces facteurs culturels sont également importants à l’échelon européen. »

Le patrimoine industriel une ressource économique pour l’Europe

Depuis les années 1970, les universitaires ont mis en avant le potentiel économique de l’héritage industriel comme source de développement et de palingénésie sociale pour territoires souffrant du phénomène de désindustrialisation. Le patrimoine industriel peut devenir un levier de revitalisation des territoires par le biais de la réhabilitation et de la réaffectation. Le Conseil de l’Europe, dès l’origine de la transition post-industrielle, a montré qu’il était conscient de cette ressource tant économique qu’identitaire pour les territoires. Mais, comme le signale le rapport de 2013, il fait dépendre la réussite de ce potentiel d’un ensemble de critères : valeur patrimoniale du site, son volume, sa situation dans l’environnement, son potentiel de reconversion et la possibilité de l’intégrer dans un ensemble d’activités.

L’Union Européenne est sur la même longueur d’onde. Elle recommande d’encourager la participation des capitaux privés afin d’inclure plus facilement le patrimoine culturel (matériel et immatériel) dans une dynamique économique, cette dynamique passant par le développement touristique à l’échelle locale et régionale. Le Comité européen des Région recommande les itinéraires culturels comme une contribution appréciable à la diffusion des valeurs culturelles locales et régionales tout en concourant, indirectement, à l’emploi et à la création d’emplois ainsi qu’au fonctionnement des entreprises (fabrication et transport de produits locaux, hébergement, restaurant, etc.).

Ce que peut l’Union Européenne ?

En accord avec le principe de subsidiarité, l’Union Européenne peut intervenir dans le secteur culturel uniquement si les objectifs ne peuvent être atteints dans ce domaine par les Etats membres. C’est la raison pour laquelle la grande majorité des textes relatifs à la culture, et notamment au patrimoine, donnent simplement le point de vue des institutions européennes et ne sont donc pas obligatoirement applicables par les états membres : ce sont des résolutions, des conclusions, des avis ou des recommandations dont on peut douter de l’efficacité à influencer la politique des états membres.

Le levier de l’UE est essentiellement financier. Depuis plusieurs décennies, les programmes cadres se succèdent dans le domaine culturel afin d’offrir aux porteurs de projets d’éventuels financements. Par exemple, en l’an 2000 est lancé le programme « Culture 2000 » dont l’un des objectifs était de partager et de mettre en valeur le patrimoine culturel commun à l’Union. Lors de son année de lancement plusieurs projets liés au patrimoine industriel ont été sélectionnés. Neuf projets issus de huit pays différents : France, Espagne, Danemark, Suède, Italie, Belgique, Allemagne et Norvège. Il s’agit d’exposition dans des lieux culturels ou des musées, autrement dit des événements qui ne sont pas appelés à s’installer dans la durée.

Le programme-cadre européen dédié à la culture et aux médias pour la période 2014-2020, « Europe créative », doté d’un budget de 1, 46 milliard d’euros, soutient les actions dans le domaine du patrimoine culturel européen. Il se donne notamment pour ambition de sauvegarder, développer et promouvoir la diversité culturelle et linguistique européenne, et donc le patrimoine culturel de l’Europe. C’est dans ce cadre que des initiatives importantes ont pu être prises : les Journées européennes du patrimoine, capitales européennes de la Culture, Prix de l’Union Européenne pour le patrimoine culturel, Année européenne du Patrimoine culturel, le label « Patrimoine européen ». Le patrimoine industriel peut être mis en valeur, mais indirectement seulement.

Des financements indirects bénéficient au patrimoine industriel

Le secteur patrimonial a la possibilité d’obtenir des financements européens qui ne sont pas directement en lien avec la culture. En effet, une pluralité d’instruments financiers liés aux programmes communautaires permet de soutenir des actions en liant avec le patrimoine. Quatre types sont soutenues : l’investissement, la formation professionnelle, la recherche et la coopération européenne.

Parmi les fonds les plus connus, il est possible de citer les fonds européens de développement régional (FEDER). En 1999 est adopté un nouveau règlement pour ces fonds structurels reconnaissant la dimension culturelle du cadre de vie pour faciliter le développement régional. Dans cet esprit le règlement des FEDER prévoit explicitement la possibilité de financer des projets à caractère culturel. Une priorité est donnée au potentiel économique du tourisme culturel reposant essentiellement sur la mise en valeur du patrimoine culturel. Les FEDER sont un des outils les plus utilisés en matière de patrimoine industriel car ils financent de nombreuses réhabilitations et réaffectations d’anciens bâtiments industriels. Ils interviennent partout en Europe : Espagne, Angleterre, Allemagne, Finlande…

Des sites emblématiques comme le village textile historique de New-Lanark en Ecosse ont bénéficié des FEDER. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’objectif du village, désormais classé patrimoine mondial de l’Humanité, est de générer une activité économique autour du tourisme industriel. L’aciérie de Volklingen en Allemagne, premier monument industriel inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, avait été soutenue par les FEDER à hauteur de 16,5 millions de Deutsch Mark sur 33,3 millions. Ces fonds sont notamment utilisés pour la réhabilitation et la réaffectation des bâtiments.

D’autres fonds communautaires interviennent également dans le financement du patrimoine industriel. Ainsi les programmes destinés aux territoires transfrontaliers ont progressivement intégré les champs culturels et patrimoniaux. Le programme « Interreg » finance de nombreux projets promouvants l’identité culturelle des territoires transfrontaliers. Ce fonds a notamment participé à la création de la Route européenne du patrimoine industriel (European Route of Industrial Heritage).

La Route européenne du patrimoine industriel enfin certifiée par le Conseil de l’Europe

Il s’agit d’une association qui a eu principal partenaire l’Union Européenne. Couvrant initialement une petite région du nord-ouest de l’Europe, ce réseau s’est élargi et couvre plus de 900 sites. Il compte plus de 80 points d’ancrage et propose et 13 routes thématiques. Néanmoins, il convient de noter que ce réseau est essentiellement constitué de sites et de musées même si de plus en plus d’autres sites industriels en font partie.


Le musée de la faulx à Pont-Salomon (Haute-Loire, France). © L. Rojas
La Route européenne du patrimoine industriel a été certifiée « Itinéraire culturel du Conseil de l’Europe » en 2019. L’institution européenne reconnaît aujourd’hui que « l’histoire de l’industrialisation de l’Europe est une partie essentielle du patrimoine européen, façonnant l’histoire, les paysages et les vies des Européens depuis deux siècles, au moment de la Révolution Industrielle. Aujourd’hui, des milliers de sites industriels, de monuments et de musées font vivre cette période d’histoire européenne partagée. » Comportant 1 800 sites dans toute l’Europe et 14 itinéraires thématiques, cette Route valorise les lieux de la mémoire européenne de l’industrialisation, à travers l’histoire de l’innovation technique et scientifique et la vie des sociétés à l’ère industrielle.

Ces fonds structurels peuvent également être associés. Certains projets liés au patrimoine industriel ont combiné l’aide de plusieurs fonds. Ainsi le bassin minier du Pas-de-Calais, classé patrimoine mondial de l’Humanité, a bénéficié des FEDER, du programme Interreg ainsi que du fonds social européen. Les porteurs de ce projet ont su mettre en avant, auprès des instances européennes, les problématiques environnementales, économiques et sociales de leur action.

L’approche intégrée de l’Union Européenne est finalement un instrument flexible et souple s’adaptant à tous les contextes politiques et législatifs. Le Conseil de l’Europe, avec la Route européenne du patrimoine industriel, permet de faire émerger, à travers la valorisation des sites locaux, la dimension européenne du patrimoine industriel et réintègre la mémoire de l’ère industrielle dans les circuits touristiques et le patrimoine culturel.

Luc Rojas

Bibliographie

Andrieux Jean-Yves, « Patrimoine de l’industrie : un nouvel enjeu culturel », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe (https://ehne.fr).

Conseil de l’Europe, rapport doc. 13134, Le patrimoine industriel en Europe, rapporteure Ismeta Dervoz, 15 février 2013.

Courades Jean-Michel, « L’action de la communauté européenne en faveur du patrimoine industriel », Patrimoine industriel et reconversion, Ed. Confluences, Bègles, 2002, p. 17-20.

Dorel-Ferré Gracia « Le patrimoine, élément constitutif de la conscience européenne », L’archéologie industrielle en France, n°43, 2003, p. 52-55.

Guérin Marie-Anne, « Le patrimoine culturel, instrument de la stratégie de légitimation de l’Union européenne. L’exemple des programmes Interreg », Politique européenne, 2008/2, n°25, p. 231-251.

Journal officiel de l’Union européenne, Avis du comité européen des régions, Vers une approche intégrée du patrimoine culturel européen (12 juin 2015).

Serain Clément, « Les politiques de l’Union européenne pour la conservation-restauration du patrimoine culturel », In Situ [en ligne], 34, 2018.

Publié le 11 août 2019