Les traditions orales européennes
La tradition orale représente, en réalité, bien plus que la simple parole. Elle est le reflet d’une culture vivante, avec ses pratiques et expressions. Elle peut être liée à l’action du parler mais continue à vivre sous l’écrit, comme c’est le cas pour les contes européens. La tradition orale modélise la mémoire collective, la transmission
La tradition orale représente, en réalité, bien plus que la simple parole. Elle est le reflet d’une culture vivante, avec ses pratiques et expressions. Elle peut être liée à l’action du parler mais continue à vivre sous l’écrit, comme c’est le cas pour les contes européens. La tradition orale modélise la mémoire collective, la transmission de connaissances et de principes culturels. Charles Perrault et les frères Grimm sont deux figures emblématiques de la littérature des contes issus de la tradition orale. Leurs histoires symbolisent aujourd’hui les classiques de la littérature européenne.
Les contes dans les traditions orales d’aujourd’hui
Selon l’UNESCO, les traditions orales se déterminent comme des mélanges « variable(s) selon le genre, le contexte et l’artiste – d’imitation, d’improvisation et de création. Cette combinaison en fait une forme d’expression vivante et colorée, mais également fragile, car sa viabilité dépend d’une chaîne ininterrompue qui doit transmettre les traditions d’une génération d’interprètes à l’autre. »[1]. C’est une façon de conserver la littérature, l’histoire et la culture entre générations différentes.
Peuple amérindien représentant la tradition orale, les anciens transmettent aux plus jeunes des récits et coutumes.En réalité, beaucoup les perçoivent comme appartenant au folklore, c’est-à-dire les traditions transmises à l’orale, mais d’autres y voient plutôt une manière d’éduquer les sociétés. Elles permettent de transporter des connaissances et des principes culturelles, mais aussi de sauvegarder la mémoire à travers le temps. Il existe de nombreux interprètes professionnels, notamment des conteurs comme Charles Perrault ou les frères Grimm, que ce soit dans les sociétés les plus reculées ou en Europe, plus particulièrement ici.
Les traditions orales sont une part importante des vies quotidiennes sociétales anciennes et modernes. Elles permettent l’interaction et l’échange entre les générations, autrement dit les anciens enseignent ou racontent aux jeunes, qui le transmettront à leurs descendants. Il se peut que ces histoires se diffusent par le biais de l’école, ou alors dans les foyers, mais elles s’imposent également lors des célébrations culturelles. Ainsi, il est nécessaire de souligner que ces traditions orales représentent un patrimoine immatériel et culturel important, et qu’elles englobent non seulement l’histoire de ces contes, mais aussi la façon de les raconter. En effet, il s’agit de critères majeurs dans la compréhension de ces traditions, les intonations ou les styles de narration utilisés[2]. L’intérêt est d’analyser les situations de contage, mais également l’opposition entre les contes de l’oralité et de l’écrit, ainsi comparer les variations et la fixité des textes.
Les contes de la tradition à la modernité
Les peuples ancestraux ne s’exprimaient que par le biais de la parole, et se transmettaient les informations grâce à l’oral, c’est pour cela que l’on parle de « tradition orale ». Ce terme est très variable en fonction des sociétés, en fonction des systèmes de communication, de mémorisation et de transmission. Cela prend en compte les littératures orales, les coutumes et rituels, les savoir-faire etc. Mais, cela renvoie également au passé des sociétés, puisque c’est un travail intergénérationnel. Les contes sont des objets traditionnels et populaires, et ce sont également des pratiques orales nées, pour la plupart, en Europe. La difficulté est de dater la naissance d’un conte, la provenance, et l’auteur. Cependant une étude[3] a montré que certains de ces contes populaires, que l’on connait encore aujourd’hui, pourrait dater d’il y a plus de quatre siècles, voire plus de six siècles pour d’autres. Le conte est « une pratique populaire de tradition orale reprise sur des pratiques savantes de recueil de conte par des savants et littéraires très tôt dans l’histoire de l’Europe »[4]. Ainsi, les contes sont des objets littéraires repris par des folkloristes et écrivains, et a pris une importante place dans les sociétés européennes, notamment grâce aux bibliothèques et aux éditions.
Ce n’est que dans les années 60, en Europe, que la pratique du contage devient une mise en scène de l’objet littéraire. Il part du principe considéré par les folkloristes, soit que le contage est une pratique populaire et traditionnelle, et se transforme en nouvelle pratique insérée dans la modernité, par les anthropologues. C’est « un renouveau »[5] littéraire, qui n’apparait pas dans le monde artistique, mais plutôt dans les bibliothèques ou les écoles. « L’évolution du conte […] s’éloigne de la simple copie d’une pratique issue du passé réinventé à une activité artistique moderne » (S. Hernandez), c’est l’évolution du « savoir raconter ». La France est le lieu principal de ce nouvel usage du conte. L’Europe en particulier, avec la Hollande et l’Espagne, devient un lieu important dans la pratique de l’oralité, par « les espaces culturels et éducatifs » (S. Hernandez).
Le conte renvoie d’abord à notre enfance, lorsque l’école, la bibliothèque ou les parents nous racontaient des histoires, des spectacles de marionnettes, ou encore au cinéma. Mais, ceci semble s’atténuer avec l’âge, les contes sont oubliés lorsqu’on passe à l’adolescence. Mais aujourd’hui, il y a un renouveau de ces contes, de nombreux amateurs en font un art du spectacle à part entière. De plus, le livre devient une forme importante de transmission des récits oraux. Ce sont les ethnologues et folkloristes, comme Charles Perrault ou encore les frères Grimm, qui ont contribué à mettre l’oral à l’écrit. Les traditions orales révèlent un intérêt pluridisciplinaire, entre les anthropologues, ethnologues, ou encore sociologues.
Dès lors, les récits oraux se traduisent à l’écrit et prennent beaucoup d’importance en Europe.
Charles PerraultParmi les grands écrivains de contes, on peut citer Charles Perrault, grand auteur de contes français, mais si peu reconnu. Pourtant, ces œuvres sont très appréciés et populaires aujourd’hui. On peut lire dans sa bibliographie, les célèbres histoires de Blanche-neige, de Cendrillon, de La Belle aux bois dormants, Peau d’âne, La Barbe Bleue, Le Petit Poucet etc. Cependant, Charles Perrault s’attela d’abord à la poésie, qui entraina de vives querelles littéraires, notamment avec Racine ou Boileau. Mais, ce n’est pas ses plusieurs tomes publiés qui lui donna sa renommée européenne actuelle. Il s’agit plutôt de ce petit recueil composé de huit contes de fées : Contes de ma mère l’Oye[6], publié en janvier 1697. Cet ouvrage contient à la fois une moralité et des histoires enfantines, qui devinrent des classiques littéraires. Ces contes se racontaient d’abord dans la haute société, de manière orale, jusqu’à ce que Perrault les mette sur papier pour en faire un recueil, aboutissant sur une morale.
Wilhem et Jacob GrimmAutre auteur de contes populaires, issus de la tradition orale : les frères Wilhem et Jacob Grimm, philologues et linguistes allemands. Ils ont suivi les contes de Charles Perrault, et les ont modifiés pour en faire des contes encore plus célèbres. Les Grimm s’intéressaient d’abord aux anciennes légendes danoises, qui constituèrent l’un de leur ouvrage commun sur le Chant de Hildebrand (Das Hildebrandslied). La première publication d’un recueil de contes, en décembre 1812, ne fut pas celui qui les rendit célèbres, Contes de l’enfance et du foyer (Kinder- und Hausmärchen)[7], dans lequel on peut lire les histoires de Blanche-neige ou encore d’Hansel et Gretel.
Première page de la deuxième édition des contes de Grimm, non traduit en français.En réalité, l’absence de succès de cette première édition, leur permit de revoir leurs récits et publier six autres éditions, qui leur donnera leur réputation. Aujourd’hui, on renomme leurs histoires, les Contes de Grimm. Ils ont puisé leurs sources de Dorothea Viehmann[8], qui contait des histoires que les frères Grimm ont retranscrit dans leur ouvrage, mais aussi de Charles Perrault et d’autres conteurs européens. A chaque nouvelle édition publiée par les frères Grimm, de nouveaux contes s’y ajoutaient, comptabilisant en tout plus de 300 contes. Toutefois, les contes sont basés sur des sources orales, contrairement aux légendes qui, elles, relèvent de sources écrites. Il est donc difficile de connaître la source exacte qui a inspiré les contes et conteurs européens. Néanmoins, on sait que Charles Perrault a puisé son inspiration dans des manuscrits, eux-mêmes issus de la tradition orale. Cependant, il faut remonter dans le temps pour savoir de quelle époque date ces contes et récits.
Enfin, on peut souligner que l’émergence des médias peut entrainer une disparition des ces traditions orales, à cause de l’industrialisation, de l’urbanisation ou encore des migrations. En effet, les médias modernes menacent les traditions, comme exemple Internet, la télévision ou bien les journaux, en remplaçant toute forme d’oralité. Raconter une histoire pouvait prendre plusieurs jours, mais avec l’accroissement de l’utilisation des médias, conter ne prend que quelques heures. En effet, on peut citer les contes féeriques, comme Blanche-neige ou Cendrillon, repris par la compagnie Disney. Ces contes issus de traditions orales sont transformés en film d’animation, et connaissent généralement un grand succès auprès du jeune public.
La valeur patrimoniale des traditions orales
Depuis 1986, le Japon a créé le prix Grimm International, à l’occasion du 200e anniversaire de Wilhem Grimm. Lors de cette cérémonie, l’Institut international de littérature d’enfance et de jeunesse de la préfecture d’Osaka attribue des prix aux ouvrages littéraires de l’enfance et de la jeunesse. Chaque gagnant remporte une plaque de métal, avec comme inscription la couverture des contes de Grimm. Ainsi, le Japon a la volonté de valoriser les ouvrages issus des traditions orales européennes, mais ce prix Grimm garde néanmoins une portée internationale, puisque le Japon célèbre cet évènement, provenant de l’Europe.
De plus, la présence des traditions orales est essentielle au sein des sociétés, pour favoriser d’une part la cohésion, mais aussi la transmission des valeurs culturelles, voire cultuelles. Il est donc important de sauvegarder et de protéger ces traditions et expressions, pour « maintenir leur rôle quotidien dans la société », selon l‘UNESCO. En effet, toutes ces traditions et contes représentent et font partie intégrante d’un patrimoine culturel immatériel à conserver.
Concernant ce patrimoine immatériel, la Convention de 2003, émise par l’UNESCO, prend en compte la préservation du patrimoine immatériel, mais la langue par exemple va au-delà des principes mis en place par la convention. La langue est définie comme étant un « moyen de transmettre le patrimoine culturel immatériel », et non pas comme une part du patrimoine immatériel. L’importance des langues ici est, qu’elle permet de diffuser ces histoires et ces contes oraux, et « affecte[nt] leur contenu ». Il est évident que si une langue est amenée à disparaitre, les traditions orales, comme les contes et chants, disparaitront à leur tour. Ainsi, il est à la fois nécessaire de protéger les langues et les traditions orales. C’est pourquoi, l’UNESCO à fait le choix de classer les contes et traditions dans la catégorie patrimoine immatériel.
Récemment, cette organisation a eu la une volonté de préserver ces actions communautaires et sociétales, mais aussi de les soutenir lors de manifestations comme des « festivals de contes »[9]. Ainsi, la Convention de 2003 promeut la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, et considère « les traditions et expressions orales comme des processus, au sein desquels les communautés sont libres d’explorer leur patrimoine culturel, plutôt que comme des produits »[10]. Cependant, parallèlement à ce que l’UNESCO a pu décrire en rapport aux médias, ils pensent également que les nouvelles technologies peuvent aider à la préservation des traditions orales, à travers des enregistrements par exemple.
Logo UNESCO, pour la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel grâce à la Convention.Enfin, les récits oraux, classés au patrimoine culturel immatériel par l’UNESCO, sont très souvent représentatifs des îles, ou des pays de l’Est. En réalité, l’Europe ne possède pas, ou peu, de traditions orales classées à l’UNESCO. Il serait donc intéressant de commencer à chercher quelles sont ces traditions orales méconnues et européennes, comme le sont les contes de Grimm ou de Charles Perrault.
Lydia Tighezert
Bibliographie
Belmont, Nicole, Anthropologie de la transmission orale en Europe, Annuaire de l’EHESS, 2002, 511-512. URL : http://journals.openedition.org/annuaire-ehess/15310
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Camara, Seydou, La tradition orale en question, In : Cahiers d’études africaines, vol. 36, n°144, 1996, p. 763-790.
Carlier, Christophe, La clef des contes, Ellipse, 2016, 128 p.
Gougaud, Henri, Contes d’Europe, Seuil jeunesse, Chapitre, 2010, 128 p.
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Hernandez, Soazig, Le Monde des contes, L’Harmattan, 2006, 317 p.
Mainil Jean, Sermain Jean-Paul (dir.), Conte et morale(s), du XVIIe siècle à aujourd’hui. Études sur le conte merveilleux XVIIe-XIXeme siècle, Fééries, n° 13, 2016, 296 p., Grenoble, Ellug.
Opie Iona Archibald, Opie Peter, The classic fairy tales, USA, Oxford University Press, 1980, 344 p.
Perrault, Charles, Contes de ma mère l’Oye, Claude Barbin, Paris, 1697, 126 p.
Person, Yves, Tradition orale et chronologie, In : Cahiers d’études africaines, vol. 2, n°7, 1962. p. 462-476.
[1] Traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel, sur : https://ich.unesco.org/fr/traditions-et-expressions-orales-00053
[2] Colloque international, Paris, Musée national des arts et traditions populaires, 21-24 février 1989, dirigé par Geneviève Calame-Griaule, Le renouveau du conte.
[3] Étude réalisée par des scientifiques de la Nouvelle université de Lisbonne, et de l’université de Durham (au Royaume-Uni)
[4] Hernandez, Soazig (préface de Bruno Péquignot), Le Monde des contes, L’Harmattan, 2006, 317 p.
[5] Calame-Griaule, Geneviève, Le renouveau du conte, colloque CNRS, 1991, 451 p.
[6] Perrault, Charles, Contes de ma mère l’Oye, Claude Barbin, Paris, 1697, 126 p.
[7] Grimm Wilhem, Grimm Jacob, Contes de l’enfance et du foyer, Allemagne, 1812.
[8] Décrit dans la préface du 2e volume, publié en 1815, par Wilhelm : « Elle conserve ses vieilles légendes fermement dans sa mémoire, un don, dit-elle, qui n’est pas accordé à tout le monde, bien des gens ne pouvant retenir qui que ce soit ; avec cela, elle raconte d’une façon réfléchie, sûre et extrêmement vivante, en prenant elle-même plaisir à l’histoire, d’abord fort librement, puis, si on le désire, en répétant lentement, si bien qu’avec quelque entraînement on peut écrire sous sa dictée. Plus d’un passage a été de cette façon textuellement conservé et on ne pourra pas ne pas remarquer le ton de la vérité ».
[9] Création du CLiO : Conservatoire Contemporain de Littérature Orale. Ils organisent des festivals, des ateliers culturels, des rencontres pour « porter à la connaissance du public les chefs-d’œuvre de la littérature orale ».
[10] Traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel, sur : https://ich.unesco.org/fr/traditions-et-expressions-orales-00053