Mur de Berlin

Mur de Berlin

En 2016, le Mur de Berlin aurait eu 55 ans. Bien que « tombé » le 9 novembre 1989 il est toujours aussi présent, dans cette ville qui se réinvente. Certains réclament un vrai travail de mémoire alors que d’autres préfèrent l’effacer. « J’ai rencontré une boulangère qui travaillait en plein sur le no man’s land. La jeune […]

En 2016, le Mur de Berlin aurait eu 55 ans. Bien que « tombé » le 9 novembre 1989 il est toujours aussi présent, dans cette ville qui se réinvente. Certains réclament un vrai travail de mémoire alors que d’autres préfèrent l’effacer. « J’ai rencontré une boulangère qui travaillait en plein sur le no man’s land. La jeune fille avait à peine vingt ans et ignorait que le Mur passait par là. J’étais sidérée de voir à quel point oublier peut-être facile »[1] : patrimonialiser pour ne pas oublier ?

Le Mur : « à la recherche de la cicatrice »[2]

Bien qu’il soit tombé le 9 novembre 1989, il est physiquement et symboliquement toujours là. La valorisation de ce patrimoine cherche à maintenir sa présence, pour les futures générations. Divers procédés sont à l’oeuvre. Nous avons tout d’abord les pans qui n’ont pas été détruits où déplacés. Axel Klausmeier, directeur du Mémorial du Mur, consacre sa vie à leur recherche. Il les recense dans l’ouvrage Mauerreste – Mauerspuren[3] : « À l’époque, mon collègue et moi avions compté 1800 traces visibles. En 2007, […] 800 d’entre elles avaient déjà disparu »[4]. Suite à ce constat, il en fait placer une trentaine sur une liste prioritaire de protection du patrimoine. Ces pans sont reliés par une double rangée de pavés et de plaques, portant l’inscription Berliner Mauer 1961-1989. Ce marquage au sol permet de matérialiser le tracé historique. De plus, en 2014, pour fêter les vingt-cinq ans de la chute du Mur, huit mille « ballons lumineux » représentants le Mur sont installés.


Publicité pour les 25 ans de la chute du mur de Berlin
Outre cette cicatrice, la présence du Mur est saisissable par un élément urbain qui distingue encore les « deux Berlin » : l’Ampelmann[5]. Il s’agit du bonhomme des feux de circulation pour piétons, créés en 1961, pour Berlin-Est. L’Ouest, quant à lui, adopte un dessin plus classique. Après la chute du Mur, une harmonisation des signaux routiers s’organise. Les politiques souhaitant supprimer les dernières traces de la période soviétique, le système de l’Ouest l’emporte. Les Ampelmann commencent à être remplacés. En 1996, Markus Heckhausen récupère leur concept et créer des lampes à partir du verre des feux usagés. Suite à cela, les Berlinois de l’Est prennent conscience de ce qu’ils sont en train de perdre. Un comité de sauvegarde se met en place. Leur protestation aboutie et le remplacement des Ampelmann cesse dès 1997. Ils sont un élément de différenciation entre les deux anciens Berlin. Ils symbolisent, à l’instar de l’architecture, une période d’évolution dos-à-dos, conséquence du Mur. Le témoignage de la frontière reste également présent via des bâtiments voisins, à la mémoire indélébile : un mirador s’élève toujours sur la Kieler Straße. Inge, 77 ans, explique : « Le Mur était une division qui n’existe plus, ça ne me dérange pas de l’avoir sous le nez. Je connais l’Histoire. »[6]. Enfin, le Mur vit par les nombreux objets historiques qu’il a inspiré[7].

Un mur à Berlin : présentation historique

En avril 1945, l’Armée rouge atteint Berlin. Hitler se suicide. La ville capitule le 2 mai et les troupes anglaises et américaines y pénètrent. La conférence de Potsdam, du 17 juillet, statut sur le partage de la capitale en quatre secteurs[8]. Berlin, dévastée, devient un enjeu de la Guerre Froide. Suite à un blocus des secteurs occidentaux[9], en juin 1948, les Alliés créent la République Fédérale d’Allemagne. Bonn devient sa capitale. En réaction, est créée la République Démocratique d’Allemagne, le 7 octobre 1949, qui choisit Berlin-Est. Le pays est divisé en deux États. Berlin-Ouest devient une enclave : « un îlot perdu dans la mer communiste »[10]. La circulation entre les deux zones est tout de même possible, jusqu’à la nuit du 11 au 12 août 1961. Le Tagesspiegel raconte : « On entend les premiers bruits des marteaux-piqueurs : on défonce la rue. A l’aide de morceaux d’asphalte et de pavés, on construit des barricades. »[11]. Un mur est érigé pour enrayer l’émigration massive de ressortissants de RDA vers la RFA, dont l’ampleur est telle qu’elle est comparée à une hémorragie.


Soldats en train de monté le mur du coté EST
Progressivement, d’un mur de moellons de trois mètres on passe à un réseau de fortifications frontalières : « le mur intérieur devint le premier obstacle à franchir. Une fois passé, ils devaient grimper au-dessus d’un grillage. Un tapis de pointes en acier tournées vers le haut, visait alors à blesser ou à dissuader. Une fois le chemin de ronde et la bande de sécurité franchis, ils devaient traverser les chevaux de frise. Le mur de 3m50 constituait le dernier obstacle à franchir pour atteindre l’Ouest »[12].

Plus que le Mur en soi, c’est ce qu’il représente : l’enfermement d’une partie de la population sous le joug d’un régime autoritaire, qui le rend insupportable. Si le Mur de Berlin s’étale sur 155 kilomètres, la frontière interallemande s’étire quant à elle sur 1 393 kilomètres[13]. Le Mur cristallise les tensions, mais c’est l’Europe tout entière qui est divisée par un « rideau de fer »[14], séparant ainsi les États européens tournés vers les États-Unis des États européens placés sous influence soviétique. Dès 1985, suite à des incidents internes, l’URSS décline. Cela a pour conséquence la chute du Mur, le 9 novembre 1989. Cette frontière qui divisait les familles depuis vingt-huit ans est tombée. Cette chute symbolise la « victoire » de la démocratie, valeur européenne mise en avant par le label patrimoine européen[15]. Le 3 octobre 1990, l’Allemagne est réunifiée. Le 20 juin 1991 Berlin devient sa capitale. Le Mur a creusé un fossé culturel et pris plus de 140 vies[16].

La résilience par la patrimonialisation ?

Le processus de patrimonialisation est multiple. Il engage à la fois l’Etat allemand mais aussi la population. Si la réunification politique a été rapide, l’enjeu du domaine culturel était d’arriver à créer un consensus, autour de patrimoines, dont la lecture diffère, de l’Est à l’Ouest. Refuser de conserver une certaine mémoire de la RDA, conduirait à l’échec. Les initiatives pour empêcher cela émergent. Pour Michael Cramer, député au Parlement Européen, « Les Berlinois souhaitent se réapproprier l’histoire de leurs aînés. Le Mur est tombé par la volonté populaire. S’il y a toujours la honte d’avoir causé tant de morts, que nous n’oublierons jamais, il n’y en a aucune dans le fait de vaincre la division. Au contraire, il faut en être fier aujourd’hui. »[17]. Cette conviction l’amère à créer le Mauer Radweg : la piste cyclable du Mur, entre 2002 et 2006, avec l’appui du Sénat de Berlin[18]. Depuis, chaque été, il organise le Mauer Rad Tour[19].

Berlin, depuis une quinzaine d’années, utilise son ancrage historique. Un véritable chantier est lancé autour des vestiges de la seconde guerre mondiale mais aussi de la Guerre Froide. La ville est « expérimentale : on y mesure la force du passé et celle de l’oubli, les possibilités et les limites du volontarisme, les rapports entre la ville et la société, entre la ville et l’art aussi » analyse Marc Augé[20]. Le contexte culturel berlinois est caractérisé par une forme de contre-culture artistique, que l’East Side Gallery incarne. Il s’agit d’un morceau du Mur, de 1,3 km de long, qui sert de support à une exposition d’œuvres.


Morceau de l'East Side Gallery
Classée monument national, elle est constituée d’environ cent six peintures dont un grand nombre font référence au Mur de Berlin. Parmi les plus connues, le baiser fraternel de Honecker et Breshnev : Mon dieu, donne-moi la force de survivre à cet amour mortel, signé Dmitrji Vrubel ; ou le Test the rest de Brigit Kinder, qui évoque l’histoire du « coin des suicidés »[21]. En mars 2013, un projet d’immeuble prévoit l’enlèvement de pans de l’East Side Gallery Les Berlinois se mobilisent pour sauver ce symbole de leur lutte pour la liberté. « On a besoin du mur, il doit rester. Berlin doit rester Berlin. Le Mur est indispensable, il a toujours été là depuis 50 ans »[22]. La pression des manifestants paye puisque l’East Side Gallery est toujours là. C’est une autre forme muséale qui permet, via l’art, de prendre en compte le passé et de mieux l’accepter.

On peut définir trois utilisations du patrimoine liées au Mur. Nous avons premièrement une utilisation pragmatique, qui l’utilise comme objet touristique et qui s’insère dans le contexte économique post-réunification. Mondialement connu, le Mur est considéré comme une vitrine touristique incontournable. Emma Derome s’interroge : « Qui aurait cru que 27 ans plus tard, ce fardeau deviendrait le passage obligé de tout touriste qui pose le pied à Berlin ? Les musées privés ont eu le temps d’exploiter le juteux filon du business de la mémoire. Particulièrement criant à Checkpoint Charlie […], un véritable Disneyland de la guerre froide. Sur l’ancien point de passage entre les secteurs américain et soviétique, le touriste moyen paye 2€ pour poser aux côtés des comédiens qui jouent les garde-frontières »[23].


Reproduction de CheckPoint au musée du Mur
Le musée du Mur, situé à Checkpoint Charlie, est l’un des plus visité de la ville. Il est ouvert en 1963, à proximité du poste-frontière, par l’historien Rainer Hildebrandt. C’est un musée privé soumis à aucun contrôle officiel. Il faut donc être prudent quant à la véracité des informations qu’on y trouve. L’attraction principale est la narration des tentatives de fuite réussies[24] : on est dans le domaine de l’anecdote. L’autre utilisation du patrimoine est celle qui s’effectue dans le cadre de l’Ostalgie. Ce néologisme désigne la nostalgie de la RDA, née après la chute du Mur. Autour des grands lieux du Mur, on trouve un ensemble de vendeurs de produits dérivés à la mode est-allemande : cornichons du Spreewald, chapka et tee-shirt avec l’inscription DDR[25].

Enfin, le patrimoine du Mur est utilisé dans le cadre du devoir de mémoire. En 1994, un concours est lancé autour d’un projet d’aménagement d’un mémorial, pour les victimes de la construction du Mur et pour la commémoration de la division de la ville. Inauguré en 1998, il représente un fragment de soixante-quatre mètres de mur. En parallèle, à l’initiative du Sénat de Berlin, un centre de documentation voit le jour le 9 novembre 1999, dix ans après la chute du Mur. Le travail continue et une Chapelle de la Réconciliation est construite en 2000. Ces trois éléments apportent au visiteur des informations via des entrées artistiques, informatives et spirituelles : il peut choisir la manière dont il souhaite aborder l’histoire du Mur. En 2006, suite au constat de la disparition quasi-totale de la frontière, qui rend le travail de transmission difficile, le Sénat de Berlin décide la coordination des différents sites. Le Mémorial devient le lieu central de commémoration. Un centre d’accueil s’ajoute aux trois autres éléments. Enfin, toujours sur cet espace, un parc du Souvenir est mis en place, en 2010, sur l’ancien cimetière Sophienfriedhof. Tout cet ensemble a pour but de mieux appréhender l’histoire de la partition de l’Allemagne et le patrimoine du Mur, visible comme invisible.

Océane Vercasson

[1]Entretien de Dominique de Rivaz réalisé par Emma Derome et Pauline Jallon « Berlin à la recherche de la cicatrice », site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://checkpointcharlie.cfjlab.fr/2017/02/22/le-mur-de-berlin-a-la-recherche-de-la-cicatrice/

[2] Expression employée par Emma Derome, « Berlin à la recherche de la cicatrice », site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://checkpointcharlie.cfjlab.fr/2017/02/22/le-mur-de-berlin-a-la-recherche-de-la-cicatrice/

[3] Axel Klausmeier et Leo Schmidt, Mauerreste – Mauerspuren (Restes et traces du Mur), Berlin, Westkreuz-Verlag, 2004, 288p.

[4] Entretien réalisé par Emma Derome et Pauline Jallon « Berlin à la recherche de la cicatrice », site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://checkpointcharlie.cfjlab.fr/2017/02/22/le-mur-de-berlin-a-la-recherche-de-la-cicatrice/

[5] Les informations sur l’Ampelmann sont tirée de l’article : « L’origine de l’Ampelmann et les différences entre l’est et l’ouest de Berlin », Lepetitjournal Berlin, consulté le 29/01/2018 [En ligne], https://lepetitjournal.com/berlin/actualites/bon-savoir-lorigine-de-lampelmann-et-les-differences-entre-lest-et-louest-de-berlin-66486

[6] Entretien réalisé par Emma Derome et Pauline Jallon « Berlin à la recherche de la cicatrice »,  site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://checkpointcharlie.cfjlab.fr/2017/02/22/le-mur-de-berlin-a-la-recherche-de-la-cicatrice/

[7] De nombreuses œuvres d’art, livres, films et musiques notamment, ont été inspirés par le Mur de Berlin comme par exemple L’écluse de Jean-Pierre Faye, Les ailes du désir de Wim Wenders ou encore Wind of change du groupe Scorpion.

[8] Les autorités militaires de l’Union Soviétique, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France reçoivent chacun l’administration d’un secteur.

[9] Le 24 juin 1948, les soviétiques décident le blocus des secteurs occidentaux. Les Alliés, principalement les Américains, répliquent en installant un pont aérien, qu’ils maintiennent jusqu’au 12 mai 1949.

[10] Bernard Thomasson, Ma petite française, Paris, Seuil, 2011, 272p.

[11] Edition du Tagesspiegel du mardi 15 aout 1961 (le quotidien ne paraît pas le lundi) qui raconte heure par heure les étapes de la construction du mur. Le Tagesspiegel est un quotidien édité à Berlin-ouest.

[12] Sélection de phrases issues de « Les fortifications frontalières dans les années 1980 », Mémorial du mur de Berlin, site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://www.berliner-mauer-gedenkstaette.de/fr/les-fortifications-frontalieres-49.html

[13] En excluant le Mur de Berlin, similaire mais physiquement indépendant.

[14] Expression employée par Winston Churchill le 5 mars 1946 dans son discours à Fulton.

[15] Le label patrimoine européen a choisi cinq thèmes thématiques dont : « l’Europe de la démocratie et de la mémoire ».

[16] 101 fugitifs de l’Est furent tués, périrent accidentellement ou se suicidèrent lors d’une tentative de traverser des fortifications frontalières, 30 personnes de l’Est et de l’Ouest sans plans d’évasion et 9 soldats est-allemands que ce soit accidentellement ou dans l’exercice de leur fonction. Ces chiffres sont disponibles dans « Les morts du mur de Berlin, 1961-1989 » », Mémorial du mur de Berlin, site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://www.berliner-mauer-gedenkstaette.de/fr/les-morts-du-mur-240.html

[17] Entretien réalisé par Emma Derome et Pauline Jallon « Berlin à la recherche de la cicatrice », site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://checkpointcharlie.cfjlab.fr/2017/02/22/le-mur-de-berlin-a-la-recherche-de-la-cicatrice/

[18] Il s’agit du gouvernement de la ville-Land de Berlin

[19] Ce qui signifie : « le tour du Mur à vélo »

[20] Marc Augé, « Un ethnologue sur les traces du mur de Berlin », Le Monde diplomatique, site consulté le 30/01/2018, [en ligne], https://www.monde-diplomatique.fr/2001/08/AUGE/8010

[21] Il s’agit du carrefour de la Bernauer Strasse et de la Gartenstrasse où des automobilistes se précipitaient à toute vitesse contre le Mur qui bloque les rues à angle droit

[22] Propos disponibles dans « Des Berlinois s’opposent à la destruction de l’East side Gallery », Euronews, site consulté le 29/01/2018 [En ligne], http://fr.euronews.com/2013/03/01/des-berlinois-s-opposent-a-la-destruction-de-l-east-side-gallery

[23] « Berlin à la recherche de la cicatrice », Emma Derome, site consulté le 24/01/2018 [en ligne], http://checkpointcharlie.cfjlab.fr/2017/02/22/le-mur-de-berlin-a-la-recherche-de-la-cicatrice/

[24] Avec des moyens très loufoques : des montgolfières, un ULM bricolé et même un sous-marin miniature.

[25] Abréviation de « Deutsche Demokratische Republik » : la RDA

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