6/ Vers une muséologie de l'immatériel

6/ Vers une muséologie de l'immatériel

Aujourd'hui, l'expérience muséale ne peut plus se contenter d'être une rencontre avec des objets. L'enjeu c'est de rechercher les moyens pour atteindre l'immatérialité du patrimoine, de vivre la force de ses affects. Le visiteur ne veut pas seulement comprendre le sens des objets : il souhaite que ses sens soient sollicités : la vue, bien sûr, mais aussi l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher. Il s'attend que les musées soient formateurs d'une sensibilité plutôt que d'être de simples médiateurs d'un discours.

Laurier TURGEON, Research Chair in Cultural Heritage, Laval University, Quebec City, Canada, Member of the ProPeace Team 

Le patrimoine culturel immatériel ouvre aujourd'hui des perspectives neuves et excitantes pour la muséologie. Si, pendant longtemps, les visiteurs se sont laissés émerveiller par la présence physique des objets dans l'espace muséal, par leur pouvoir d'évocation symbolique, ils veulent maintenant enrichir l'interprétation de ceux-ci par la connaissance de leurs modalités de fabrication, de leur utilisation et de leur signification. Plus encore, ils veulent que l'expérience muséale leur permette d'atteindre l'immatérialité du patrimoine, de vivre la force de ses affects. Ils désirent voir des personnes et des performances en réalité augmentée, ressentir les émotions qu'elles transportent. Plus que de comprendre le sens des objets, ils souhaitent que les objets et les personnes sollicitent tous leurs sens : la vue, bien sûr, mais aussi l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher. Ils s'attendent à ce que les musées soient formateurs d'une sensibilité plutôt que d'être de simples médiateurs d'un discours. 

Produit et porté par des personnes, le patrimoine culturel immatériel offre aux musées et aux muséologues la possibilité d'agir sur les corps, notamment sur les sens et l'affect, puis au patrimoine de faire corps avec les visiteurs. Selon la récente définition de l'UNESCO, il renvoie aux « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi qu'aux instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel*Il s'agit de la définition utilisée dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 de l'UNESCO : voir le site Web http://www.unesco.org/culture/ich/ (consulté le 6 juin 2019). ». Le patrimoine immatériel permet de modifier le rapport à l'objet; celui-ci devient un lieu de communication plutôt que de simple contemplation. Il contribue à rendre l'objet plus vivant et à restaurer ses fonctions sociale et identitaire. Il met en valeur la parole et le geste et, plus généralement, le corps comme lieu central de performativité du patrimoine. Le patrimoine immatériel permet également d'associer les individus et les groupes sociaux à la conservation et à l'exposition muséologiques. Il incite à sauvegarder la pratique culturelle qui produit l'objet et à la préserver par la transmission plutôt que de seulement conserver l'objet dans sa forme physique. D'ailleurs, le mot « sauvegarde » est apparu dans le lexique des spécialistes précisément pour désigner la préservation du caractère vivant de la pratique culturelle, par opposition à la « conservation », qui vise à « conserver la mémoire de ce qui a existé, sans nécessairement vouloir la faire perdurer*Mariannick Jadé, « Le patrimoine immatériel, quels enjeux pour les musées? », La Lettre du Comité national français, Paris, no 29, 2005, p. 14.». Les nouvelles technologies numériques offrent des possibilités illimitées de captation, de conservation et de communication du patrimoine immatériel. Elles permettent d'intégrer l'immatériel au matériel, d'enregistrer des savoir-faire par la vidéo numérique, de rendre visibles les éléments intangibles et de transformer la visite muséale en une expérience multimédia et sensorielle. Ainsi, le recours au patrimoine immatériel dans les musées ouvre la voie à une expérience plus interactive, participative et sensible du patrimoine.

 

Les musées se sont engagés dans cette dynamique depuis déjà un certain temps, notamment par l'entremise des musées de société. Ils sont devenus des espaces davantage ouverts aux publics variés et aux différents patrimoines, des lieux de rencontres et d'échanges entre groupes qui renégocient leurs identités et leur place dans la société*Corinne A. Kratz et Ivan Karp, « Introduction », dans Ivan Karp, Corinne A. Kratz, Lynn Szwaja et Tomas Ybarra-Frausto (dir.), Museum Frictions : Public Cultures / Global Transformations, Durham, N.C., Duke University Press, 2006, p. 1-31.. Mais il reste encore beaucoup à faire. Les principaux enjeux sont d'ordre politique et social. D'une part, les nouvelles politiques du patrimoine accordent au patrimoine immatériel une reconnaissance juridique qui était jusqu'ici réservée au seul patrimoine matériel. D'autre part, les approches plus participatives et sociales que prônent les muséologues favorisent le recours au patrimoine immatériel. L'avenir des musées réside grandement dans leur capacité de saisir ces transformations politiques et sociales en cours et de tirer profit de celles-ci.

 

 

Les enjeux politiques du patrimoine immatériel

 

Depuis une dizaine d'années, nous assistons à la mise en œuvre d'une panoplie de conventions, de chartes, de conférences et de politiques sur le patrimoine culturel immatériel, tant au niveau national qu'au niveau international. La plus importante de celles-ci est sans doute la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel adoptée par l'UNESCO en 2003. Déjà ratifiée par plus de 180 pays, cette nouvelle convention est venue compléter la Convention du patrimoine mondial culturel et naturel de 1972 de l'UNESCO, qui vise la conservation du patrimoine matériel (bâti) et du patrimoine naturel (paysager). Il n'en demeure pas moins que l'adoption de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel n'est pas allée sans rencontrer une résistance chez certains États membres et à l'intérieur même de l'UNESCO. Plusieurs la voyaient comme une menace au patrimoine matériel, un ajout qui viendrait diluer le caractère exclusivement matériel des sites, des bâtiments et des objets, qui contribuerait à rabaisser le statut des sites du patrimoine mondial ou qui susciterait des revendications chez les groupes ethnoculturels et les autochtones. À ces critiques les partisans de la Convention rétorquent que l'approche « monumentaliste » du patrimoine à l'UNESCO a trop longtemps négligé ce patrimoine vivant et ses détenteurs, notamment en Afrique, en Asie et en Océanie. Par ailleurs, ils soutiennent que le patrimoine immatériel participe à la préservation des cultures locales et à la diversité culturelle dans le monde*Mounir Bouchenaki, « Éditorial sur le patrimoine immatériel », Museum international, nos 221-222, 2004, p. 6-11..

 

Le grand succès de la Convention de 2003 a bien démontré sa pertinence pour les sociétés contemporaines. Inspirée des pratiques patrimoniales japonaises qui accordent une large place à l'intangible, la Convention vise à promouvoir le patrimoine immatériel pour protéger la diversité des cultures contre leur homogénéisation engendrée par la mondialisation. Le texte de la Convention propose une définition large et inclusive du patrimoine immatériel, puisqu'elle renferme les expressions orales, les savoir-faire, les fêtes, les rituels et les spectacles, ainsi que les instruments, les objets, les artefacts et les espaces (territoires) qui permettent leur manifestation*Voir le site Web http://www.unesco.org/culture/ich/ (consulté le 6 juin 2019).. Elle insiste aussi sur le caractère dynamique du patrimoine, ce qui marque un net progrès par rapport aux notions de folklore et de coutumes traditionnelles, employées jusqu'alors par l'UNESCO, qui renvoient à une momification de la culture. Loin de figer le patrimoine en voulant assurer à tout prix sa survivance, la Convention met l'accent sur sa transmission, sur sa transformation permanente et sur son pouvoir de revitalisation des communautés. Pour ce faire, elle propose aux États signataires des mesures concrètes : la mise en œuvre de politiques nationales de sauvegarde; la désignation ou la création d'instances compétentes dans le domaine; la promotion d'études scientifiques, techniques et artistiques ainsi que des méthodologies de recherche pour une sauvegarde efficace du patrimoine culturel immatériel ; l'adoption de mesures juridiques, techniques, administratives et financières appropriées ; la réalisation d'inventaires mis à jour régulièrement ; et la participation des communautés, des groupes et des individus à la gestion de ce patrimoine.

 

Les musées n'ont pas tardé à emboîter le pas, voire à le devancer. Déjà en 2002, l'Organisation Asie-Pacifique du Conseil international des musées (ICOM), lors de la tenue de sa 7e Assemblée régionale à Shanghai, en Chine, avait adopté la Charte de Shanghai intitulée Musées, patrimoine immatériel et mondialisation. Elle vise à sensibiliser les musées à l'importance et à l'intérêt du patrimoine immatériel, et propose une série de mesures pour intégrer celui-ci aux pratiques muséales : œuvrer à sa conservation, à sa présentation et à son interprétation, dans le respect des caractéristiques locales ; élaborer des programmes publics et des stratégies de gestion ; envisager la formation et le renforcement des capacités pour l'intégration de la gestion du patrimoine matériel et immatériel ; établir des critères et des méthodologies d'intégration du patrimoine matériel et immatériel dans les musées et autres institutions du patrimoine ; et lancer des projets pilotes présentant les méthodes à utiliser pour associer les communautés locales à l'inventaire des ressources du patrimoine immatériel*Voir http://icom.museum/shanghai_charter_fr.html (consulté le 10 juin 2019).. Plusieurs de ces recommandations ont été reprises et amplifiées dans les résolutions de la 21e Assemblée générale de l'ICOM, organisée à Séoul, en Corée du Sud, en 2004. Connues sous le nom de « Déclaration de Séoul sur le patrimoine culturel immatériel », les résolutions insistent également sur la nécessité pour les gouvernements de signer la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, d'adopter des lois destinées à protéger ce patrimoine et d'offrir au personnel des musées une formation dans la collecte, la conservation et la diffusion du patrimoine culturel immatériel*Voir http://icom.museum/resolutions/eres04.html (consulté le 12 juin 2019).. Grâce à ces recommandations, l'immatériel a été progressivement intégré aux expositions au cours des dernières années. Au Québec, par exemple, le Musée québécois de culture populaire a créé avec le Musée de la vie wallonne à Liège une exposition consacrée à la transmission des savoir-faire artisanaux au Québec et en Wallonie, le Musée d'archéologie et d'histoire de Montréal (Pointe-à-Callière) vient de présenter une exposition sur les contes et légendes de l'Amérique française et le Musée de la civilisation intervient actuellement auprès des personnes âgées dans des maisons de retraite afin de stimuler leur mémoire et de recueillir leurs récits de vie. Le Centre d'histoire de Montréal pratique déjà depuis quelques années l'enregistrement des témoignages audio, vidéo et écrits de simples citoyens à travers son Musée de la personne, dont la base de données forme un véritable théâtre de la mémoire. Fondé en 2007 sur le même principe, le Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli propose aux visiteurs de laisser au musée leurs récits de vie ou encore des objets personnels avec leurs témoignages.

 

 

Un patrimoine en socialité augmentée

Le patrimoine immatériel offre aux musées la possibilité de construire des liens sociaux et d'accroître l'interaction et la participation citoyennes. Toutes les conventions, chartes et déclarations mettent d'ailleurs l'accent sur les relations sensibles entre le patrimoine immatériel et l'engagement des groupes sociaux dans les musées. La Convention de 2003 propose d'envisager le patrimoine immatériel comme un processus de construction sociale plutôt que comme un produit. Partant du principe que le patrimoine immatériel est porté par des personnes, elle attache une grande importance à la préservation des « communautés*C'est le mot « communauté » qui est employé dans la Convention, dans le sens nord-américain du terme, qui renvoie à des groupes socioculturels qui sont généralement bien constitués et définis.» et à la transmission active de leurs pratiques, perçue comme un moyen efficace de conservation*Noriko Aikawa-Faure, « From the Proclamation of Masterpieces to the Convention for the Safeguarding of Intangible Cultural Heritage », dans Laurajane Smith et Natsuko Akagawa (dir.), Intangible Heritage, Londres et New York, Routledge, 2009, p. 13-44.. Le modèle de gestion privilégié est celui du bas vers le haut qui implique la participation des groupes concernés à toutes les étapes de la mise en valeur, depuis le choix du bien valorisé jusqu'à son interprétation et à sa communication. Loin de figer le patrimoine en voulant assurer à tout prix sa survivance, la Convention insiste sur sa transmission, sur sa transformation permanente et sur son pouvoir de revitalisation des groupes et des collectivités*Janet Blake, « UNESCO's 2003 Convention on Intangible Heritage : The Implications of Community Involvement in “Safeguarding” », dans Laurajane Smith et Natsuko Akagawa (dir.), op. cit., p. 45-73.. La Charte de Shanghai recommande explicitement aux musées de « lancer des projets pilotes présentant les méthodes à utiliser pour associer les communautés locales à l'inventaire des ressources du patrimoine immatériel*Charte de Shanghai : http://icom.museum/shanghai_charter_fr.html (consultée le 10 juin 2010). ».

 

Si le patrimoine matériel se manifeste dans les sites, les bâtiments et les objets, le patrimoine immatériel s'exprime au moyen du corps humain. C'est celui-ci qui met en mémoire, conserve et transmet le patrimoine, principalement par la parole et le geste. Les expositions qui impliquent la participation directe d'artisans et d'artistes mettent en valeur l'efficacité de la gestualité du corps dans la communication et la construction sociales. Le conteur fait appel à sa bouche et à son visage, l'artisan à ses mains et le danseur à ses pieds puis à l'ensemble de son corps pour transmettre ses savoir-faire et communiquer des émotions à ses auditeurs, dont les corps sont, à leur tour, sollicités. Les extrémités que sont les mains et les pieds donnent au corps sa mobilité et lui permettent d'agir sur le monde social et de le modeler*Terence Turner, « The Social Body and Embodied Subject : Bodiliness, Subjectivity, and Sociality among the Kayapo », Cultural Anthropology, vol. 10, no 2, 1995, p. 143-170.. Que ce soit par le chant, le récit ou le cri, la voix a le pouvoir d'émouvoir, sans doute plus que toute autre expression corporelle. Libératrices de tensions psychiques, les expressions orales peuvent soulager le corps et, en même temps, renforcer la cohésion sociale par le partage d'expériences communes et d'émotions fortes. Tous les sens du corps sont mis en éveil, ce qui donne la possibilité de faire du patrimoine immatériel une expérience polysensorielle et un puissant ciment social. Les fêtes et les rituels représentent des activités coutumières qui utilisent le corps pour marquer le temps et l'espace. Ici, le corps tout entier est mis à contribution de manière exacerbée; souvent même, les corps s'unissent pour créer un mouvement d'ensemble et dialoguer entre eux, comme dans le cas de la danse et du théâtre. Pousser le corps à la limite de ses potentialités permet de s'extraire du quotidien et de signifier des temps forts de la vie de la communauté. En rassemblant les gens dans un même lieu, les fêtes et les rituels permettent aussi de s'approprier un espace, de produire un paysage sonore et de marquer des identités territoriales. C'est par les pratiques corporelles du patrimoine et sa transmission que se crée le corps collectif.

 

Les nouveaux usages sociaux et politiques du patrimoine immatériel sont l'expression d'un nouveau régime de patrimonialité. En effet, depuis une dizaine d'années, nous sommes passés d'un régime patrimonial soucieux de l'authenticité, de la conservation de la culture matérielle et de la contemplation esthétique de l'objet dans sa matérialité à un régime qui valorise la transformation des pratiques culturelles, la performance de la personne et l'expérience sensible de la culture. Le patrimoine est aujourd'hui plus une question d'affect que d'intellect, de socialité que d'expertise. Ce nouveau régime de sensibilité dépasse largement le domaine de la culture pour atteindre celui de l'économie. Selon Joseph Pine et James Gilmore, le monde occidental quitte l'économie industrielle et l'économie de services pour entrer dans une économie d'expérience, qui se caractérise non plus par la production de biens et de services, mais par des expériences vécues*Joseph Pine et James Gilmore, The Experience Economy, Boston, Harvard Business School Press, 1999.. L'expérience transformatrice, que ce soit sur le plan de l'apprentissage, de la sociabilité ou du divertissement, devient elle-même un produit à même de prendre de la valeur et d'attirer les investissements. L'efficacité de l'économie d'expérience repose sur sa capacité de produire des émotions et des sentiments forts pour les consommateurs qui s'y engagent.

 

Les citoyens sont en quête d'un patrimoine plus interactif, participatif et vivant. Loin de simplement reproduire à l'identique le passé à l'aide d'experts et de le figer dans des objets, ils veulent inscrire leurs traditions dans la créativité et participer eux-mêmes à la reconnaissance de leur patrimoine. Le désir de mémoire a remplacé celui de monuments*Daniel Fabre, Domestiquer l'histoire : ethnologie des monuments historiques, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2000.. La mémoire ne s'incarne plus uniquement dans la pierre, mais dans les pratiques sociales et culturelles*Rodney Harrison, « Heritage, Memory and Modernity », dans Rodney Harrison, Graham Fairclough, John H. Jameson Jr. et John Schofield (dir.), The Heritage Reader, Londres et New York, Routledge, 2008, p. 1-12.. Les touristes aussi réclament de plus en plus le patrimoine immatériel. Ils ne veulent plus simplement faire en autobus des visites commentées de bâtiments historiques, mais se promener dans les rues, s'immiscer dans la culture locale, connaître ses traditions, voir ses spectacles, goûter à sa cuisine et, pour tout dire, participer à une expérience sensible et « durable ».

 

 

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Les musées ne font que commencer à explorer les immenses potentialités du patrimoine culturel immatériel. Les approches exploitées jusqu'à présent sont trop souvent limitées à la collecte de témoignages oraux, essentiellement des récits de vie et des récits d'objets. Il serait possible d'aller beaucoup plus loin et de procéder de manière plus systématique dans la captation et l'archivage des récits de fabrication, d'usages sociaux et de sens des objets des collections par des enquêtes dans le musée et hors de celui-ci. L'usage d'équipements d'enregistrement numériques audiovisuels, de bases de données multimédias et d'applications Web pour exploiter ces bases a révolutionné les pratiques d'enregistrement du patrimoine culturel immatériel. Des bases de données multimédias accessibles sur le Web peuvent servir à guider le visiteur dans l'exposition et à lui fournir un contenu supplémentaire, retiré à l'aide d'un téléphone intelligent. La simplicité et les coûts modiques d'utilisation permettent de faire participer les informateurs et les visiteurs aux enquêtes et à leur diffusion. Ils pourraient être formés rapidement à les manipuler pour constituer leurs propres archives, versées aux musées, ou encore à produire de courtes présentations multimédias qui seraient intégrées aux expositions. Un peu plus compliquée, la constitution d'environnements immersifs dans les musées – à l'aide d'un cyclorama, d'un panoscope, de grands écrans ou de lunettes portatives – donne la possibilité de recréer des sites entiers (bâtiments ou parties de bâtiments) en trois dimensions, de restituer leur vie et leur esprit avec des avatars (personnages numériques) et d'offrir une expérience émotive et intellectuelle forte*Stephen Bitgood, « Les méthodes d'évaluation de l'efficacité des dioramas : compte rendu critique », Public et musées. Les dioramas, Lyon, Presses universitaires de Lyon, janvier-juin 1996, p. 37-53.

. Il va sans dire que tous ces dispositifs virtuels ne peuvent se substituer aux spectacles live. Le patrimoine immatériel se transmet par des corps qui parlent, qui sentent, qui entendent et qui gesticulent. La multiplication de performances de conteurs, de chanteurs, de danseurs, d'artisans et d'artistes contribuerait à rendre le musée plus vivant et dynamique, et partant un haut lieu de la représentation du patrimoine immatériel. Le musée pourrait également organiser des fêtes et des rituels dans ses murs et à l'extérieur de ceux-ci. Si certains musées le font déjà, il serait opportun multiplier ces interventions et d'inviter les visiteurs à y participer. Pour accroître encore les perspectives de développement des potentialités du patrimoine immatériel dans le champ muséologique, il faudra assurer une formation dans le domaine. En effet, les muséologues n'ont pas toujours les outils conceptuels et méthodologiques nécessaires, étant pour la plupart formés en culture matérielle. L'élaboration de programmes d'enseignement et de recherche universitaires en patrimoine immatériel permettrait de mettre en culture ce champ encore en friche. Car le musée de demain sera un musée de l'immatériel.

 

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